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Paul Géraldy 1885-1983

Absence

Passé

Méditation

 

                Absence

Ce n'est pas dans le moment
où tu pars que tu me quittes.
Laisse-moi, va, ma petite,
il est tard, sauve-toi vite!
Plus encor que tes visites
j'aime leurs prolongements.
Tu m'es plus présente, absente.
Tu me parles. Je te vois.
Moins proche, plus attachante,
moins vivante, plus touchante,
tu me hantes, tu m'enchantes!
Je n'ai plus besoin de toi.
Mais déjà pâle, irréelle,
trouble, hésitante, infidèle,
tu te dissous dans le temps.
Insaisissable, rebelle,
tu m'échappes, je t'appelle.
Tu me manques, je t'attends !

                        (Toi et Moi, 1885)


                        Passé

Tu avais jadis, lorsque je t'ai prise,
il y a trois ans,
des timidités, des pudeurs exquises.
Je te les ai désapprises.
Je les regrette à présent.
A présent, tu viens, tu te déshabilles,
tu noues tes cheveux, tu me tends ton corps...
Tu n'étais pas si prompte alors.
Je t'appelais : ma jeune fille.
Tu t'approchais craintivement.
Tu avais peur de la lumière.
Dans nos plus grands embrassements,
je ne t'avais pas tout entière...
Je t'en voulais. J'étais avide,
ce pauvre baiser trop candide,
de le sentir répondre au mien.
Je te disais, tu t'en souviens :
« Vous ne seriez pas si timide
si vous m'aimiez tout à fait bien !... »
Et maintenant je la regrette
cette enfant au front sérieux,
qui pour être un peu plus secrète
mettait son bras nu sur ses yeux.

                                (Toi et Moi, 1885)

            Méditation

On aime d’abord par hasard
Par jeu, par curiosité
Pour avoir dans un regard
Lu des possibilités

Et puis comme au fond de soi-même
On s’aime beaucoup
Si quelqu’un vous aime, on l’aime
Par conformité de goût

On se rend grâce, on s’invite
À partager ses moindres mots
On prend l’habitude vite
D’échanger de petits mots
Quand on a longtemps dit les mêmes
On les redit sans y penser
Et alors, mon Dieu, on aime
Parce qu’on a commencé

 

                            (Toi et Moi, 1885)

 

José-María de Heredia 1842-1905

Les conquérants Soleil couchant Les bergers Le lit

 

                    Les conquérants
 


Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;

Ou, penchés à l'avant de blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Ocean des étoiles nouvelles.

 

                                (Les Trophées, 1893)

                Soleil couchant

 


Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l'âpre sommet que le couchant allume ;
Au loin, brillante encor par sa barre d'écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.

A mes pieds c'est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l'homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l'Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
A la vaste rumeur de l'Océan s'unit.

Alors, comme du fond d'un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.

L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d'or de son rouge éventail.

 

                                    (Les Trophées, 1893)

                        Les bergers

 


Viens. Le sentier s'enfonce aux gorges du Cyllène.
Voici l'antre et la source, et c'est là qu'il se plaît
A dormir sur un lit d'herbe et de serpolet
A l'ombre du grand pin où chante son haleine.

Attache à ce vieux tronc moussu la brebis pleine.
Sais-tu qu'avant un mois, avec son agnelet,
Elle lui donnera des fromages, du lait ?
Les Nymphes fileront un manteau de sa laine.

Sois-nous propice, Pan ! ô Chèvre-pied, gardien
Des troupeaux que nourrit le mont Arcadien,
Je t'invoque... Il entend ! j'ai vu tressaillir l'arbre.

Partons. Le soleil plonge au couchant radieux.
Le don du pauvre, ami, vaut un autel de marbre,
Si d'un coeur simple et pur l'offrande est faite aux Dieux.

 

                                      (Les Trophées, 1893)

                            Le lit

 


Qu'il soit encourtiné de brocart ou de serge,
Triste comme une tombe ou joyeux comme un nid,
C'est là que l'homme naît, se repose et s'unit,
Enfant, époux, vieillard, aïeule, femme ou vierge.

Funèbre ou nuptial, que l'eau sainte l'asperge
Sous le noir crucifix ou le rameau bénit,
C'est là que tout commence et là que tout finit,
De la première aurore au feu du dernier cierge.

Humble, rustique et clos, ou fier du pavillon
Triomphalement peint d'or et de vermillon,
Qu'il soit de chêne brut, de cyprès ou d'érable ;

Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable,
Où tous les siens sont nés aussi bien qu'ils sont morts.

 

                                        (Les Trophées, 1893)

 

 

Victor Hugo 1802-1885

Ce siècle avait deux ans!

Oceano nox

Les martyres

A ma fille

Booz endormi

La plume de Satan

                Ce siècle avait deux ans!

 

 

Ce siècle avait deux ans! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l'empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix;
Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre,
C'est moi.
Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de voeux, que d'amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Épandait son amour et ne mesurait pas!
Ô l'amour d'une mère! amour que nul n'oublie!
Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie!
Table toujours servie au paternel foyer!
Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier!

Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse,
Comment ce haut destin de gloire et de terreur
Qui remuait le monde aux pas de l'empereur,
Dans son souffle orageux m'emportant sans défense
À tous les vents de l'air fit flotter mon enfance.
Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants,
L'océan convulsif tourmente en même temps
Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage,
Et la feuille échappée aux arbres du rivage!

Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé,
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé,
Et l'on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses voeux,
Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde,
Mon âme où ma pensée habite, comme un monde,
Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté,
Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit,
Le livre de mon coeur à toute page écrit!

Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées,
Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées;
S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur
Dans le coin d'un roman ironique et railleur;
Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie,
Si j'entrechoque aux yeux d'une foule choisie
D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois
De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix;
Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume,
Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume
Dans le rythme profond, moule mystérieux
D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux;
C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore!

D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais,
Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais.
L'orage des partis avec son vent de flamme
Sans en altérer l'onde a remué mon âme.
Rien d'immonde en mon coeur, pas de limon impur
Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur!

Après avoir chanté, j'écoute et je contemple,
À l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple,
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs,
Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs;
Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine
Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne!

                                                (Les Feuilles d'Automne, 1831)

                        Oceano nox

 


Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !

On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !

Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!

                                                (Les rayons et les ombres, 1840)

                    Les martyres

 


Ces femmes, qu'on envoie aux lointaines bastilles,
Peuple, ce sont tes soeurs, tes mères et tes filles !
Ô peuple, leur forfait, c'est de t'avoir aimé !
Paris sanglant, courbé, sinistre, inanimé,
Voit ces horreurs et garde un silence farouche.

Celle-ci, qu'on amène un bâillon dans la bouche,
Cria - c'est là son crime - : à bas la trahison !
Ces femmes sont la foi, la vertu, la raison,
L'équité, la pudeur, la fierté, la justice.
Saint-Lazare - il faudra broyer cette bâtisse !
Il n'en restera pas pierre sur pierre un jour ! -
Les reçoit, les dévore, et, quand revient leur tour,
S'ouvre, et les revomit par son horrible porte,
Et les jette au fourgon hideux qui les emporte.
Où vont-elles ? L'oubli le sait, et le tombeau
Le raconte au cyprès et le dit au corbeau.

Une d'elles était une mère sacrée.
Le jour qu'on l'entraîna vers l'Afrique abhorrée,
Ses enfants étaient là qui voulaient l'embrasser ;
On les chassa. La mère en deuil les vit chasser
Et dit : - partons ! - Le peuple en larmes criait grâce.
La porte du fourgon étant étroite et basse,
Un argousin joyeux, raillant son embonpoint,
La fit entrer de force en la poussant du poing.

Elles s'en vont ainsi, malades, verrouillées,
Dans le noir chariot aux cellules souillées
Où le captif, sans air, sans jour, sans pleurs dans l'oeil,
N'est plus qu'un mort vivant assis dans son cercueil.
Dans la route on entend leurs voix désespérées.
Le peuple hébété voit passer ces torturées.
A Toulon, le fourgon les quitte, le ponton
Les prend ; sans vêtements, sans pain, sous le bâton,
Elles passent la mer, veuves, seules au monde,
Mangeant avec les doigts dans la gamelle immonde.

 

                                         (Les Châtiments, 1853)

                          A ma fille


O mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
-- Résignée ! --

Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme !

Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète ;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.

Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, -- destin morose ! --
Tout a manqué. Tout, c'est-à-dire, hélas !
Peu de chose.

Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l'univers chacun cherche et désire:
Un mot, un nom, un peu d'or, un regard,
Un sourire !

La gaîté manque au grand roi sans amours ;
La goutte d'eau manque au désert immense.
L'homme est un puits où le vide toujours
Recommence.

                                     >>>>  (Suite en haut à droite)
 

            (Suite)

Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S'illuminent !

Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d'ombre.

Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.

Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d'ici-bas,
Et des hommes !

Cette loi sainte, il faut s'y conformer.
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
Ou tout plaindre !

                                      (Les contemplations, 1856)

                Booz endormi

 


Booz s'était couché de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ;
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ;
Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril.
Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse :
- Laissez tomber exprès des épis, disait-il.

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Booz était bon maître et fidèle parent ;
Il était généreux, quoiqu'il fût économe ;
Les femmes regardaient Booz plus qu'un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'oeil du vieillard on voit de la lumière.

Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens ;
Près des meules, qu'on eût prises pour des décombres,
Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;
Et ceci se passait dans des temps très anciens.

Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge ;
La terre, où l'homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géants qu'il voyait,
Etait mouillée encore et molle du déluge.

Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s'étant entre-bâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.

Et Booz murmurait avec la voix de l'âme :
" Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n'ai pas de fils, et je n'ai plus de femme.

" Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi,
O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l'un à l'autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.

" Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j'eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
Le jour sort de la nuit comme d'une victoire ;

Mais vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau ;
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,
Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
Comme un boeuf ayant soif penche son front vers l'eau. "

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase,
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu'une femme était là,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle.
Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormait
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l'herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l'oeil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été,
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.

                                (La légende des siècles, 1859-1883)

                    La plume de Satan

 


La plume, seul débris qui restât des deux ailes
De l'archange englouti dans les nuits éternelles,
Était toujours au bord du gouffre ténébreux.
Les morts laissent,ainsi quelquefois derrière eux
Quelque chose d'eux-même au seuil de la nuit triste,
Sorte de lueur vague et sombre, qui persiste.

Cette plume avait-elle une âme ? qui le sait ?
Elle avait un aspect étrange ; elle gisait
Et rayonnait ; c'était de la clarté tombée.

Les anges la venaient voir à la dérobée.
Elle leur rappelait le grand Porte-Flambeau ;
Ils l'admiraient, pensant à cet être si beau
Plus hideux maintenant que l'hydre et le crotale ;
Ils songeaient à Satan dont la blancheur fatale,
D'abord ravissement, puis terreur du ciel bleu,
Fut monstrueuse au point de s'égaler à Dieu.
Cette plume faisait revivre l'envergure
De l'Ange, colossale et hautaine figure ;
Elle couvrait d'éclairs splendides le rocher ;
Parfois les séraphins, effarés d'approcher
De ces bas-fonds où l'âme en dragon se transforme,
Reculaient, aveuglés par sa lumière énorme ;
Une flamme semblait flotter dans son duvet ;
On sentait, à la voir frissonner, qu'elle avait
Fait partie autrefois d'une aile révoltée ;
Le jour, la nuit, la foi tendre, l'audace athée,
La curiosité des gouffres, les essors
Démesurés, bravant les hasards et les sorts,
L'onde et l'air, la sagesse auguste, la démence,
Palpitaient vaguement dans cette plume immense ;
Mais dans son ineffable et sourd frémissement,
Au souffle de l'abîme, au vent du firmament,
On sentait plus d'amour encor que de tempête.

Et sans cesse, tandis que sur l'éternel faîte
Celui qui songe à tous pensait dans sa bonté,
La plume du plus grand des anges, rejeté
Hors de la conscience et hors de l'harmonie,
Frissonnait, près du puits de la chute infinie,
Entre l'abîme plein de noirceur et les cieux.

Tout à coup un rayon de l'oeil prodigieux
Qui fit le monde avec du jour, tomba sur elle.
Sous ce rayon, lueur douce et surnaturelle,
La plume tressaillit, brilla, vibra, grandit,
Prit une forme et fut vivante, et l'on eût dit
Un éblouissement qui devient une femme.
Avec le glissement mystérieux d'une âme,
Elle se souleva debout, et, se dressant,
Éclaira l'infini d'un sourire innocent.
Et les anges tremblants d'amour la regardèrent.
Les chérubins jumeaux qui l'un à l'autre adhèrent,
Les groupes constellés du matin et du soir,
Les Vertus, les Esprits, se penchèrent pour voir
Cette soeur de l'enfer et du paradis naître.
Jamais le ciel sacré n'avait contemplé d'être
Plus sublime au milieu des souffles et des voix.
En la voyant si fière et si pure à la fois,
La pensée hésitait entre l'aigle et la vierge;
Sa face, défiant le gouffre qui submerge,
Mêlant l'embrasement et le rayonnement,
Flamboyait, et c'était, sous, un sourcil charmant,
Le regard de la foudre avec l'oeil de l'aurore.
L'archange du soleil, qu'un feu céleste dore,
Dit : - De quel nom faut-il nommer cet ange, ô Dieu ?

Alors, dans l'absolu que l'Être a pour milieu,
On entendit sortir des profondeurs du Verbe
Ce mot qui, sur le front du jeune ange superbe
Encor vague et flottant dans la vaste clarté,
Fit tout à coup éclore un astre : - Liberté !

 

                                            (La fin de Satan, 1886)

 

 

Max Jacob 1876-1944

Quimper Villonelle Il se peut qu'un rêve étrange

 

                    Quimper


Ô mes écrits nouveaux ! je veux qu’ils outrepassent
Le ciel ! le poète fidèle à son rêve impossible !
Attelé dans les bras solides de la Muse
Il écrit sur l’azur envers du Paradis.
Gentil Quimper, le nid de mon enfance
De lierre, ormeaux, roches tout tapisse,
Vois ce, d’un tendre effort, qu’à ta face
J’offre ! un miroir de hêtres et de houx
Hêtres et houx cachant nos jeux de courses
Par intervalle dans l’étroite vallée !
Ayant confié le cartable à la mousse
Avec les compagnons j’ai folâtré
Mère ou servante, le dos à la feuillée
Brodait, cousait ou ravaudait les bas
Sans craindre trop la pente ravinée
Car les quinconces protégeaient nos faux pas.
Du haut en bas ce n’était que feuillage
Piécettes d’ombres et pièces de soleil
Sur une haie c’est du linge qui flotte
Troupeau gardé par un la vieille au bâton
Nous, lévriers de la terre moussue
Nous poursuivons dans les couloirs de hêtres
Blancs, hérissés parfois d’éventails de rameaux
En bas, l’Odet aux ponts de fer multiples
Se gargarise interminablement.

Sur le disque éclatant de l'Odet élargi

J'aimais apercevoir entre les doigts des arbres

Les joues du grand voilier dorées par le soleil

Tandis que sous nos pieds s'élançant des broussailles

Les trois-mâts fins et lourds faisaient songer à Dieu.

J'écris nos deux clochers en lettres majuscules

Fleuries, enrubannées, pleines de cris d'oiseaux

L'escalier de la tour au milieu des coquilles

Des blancs, des nuits, des coins et des coups d'air soudains

C'était comme paraphe ! Avec des Parisiens

Nous avons effrayé vos poutres, grandes orgues !

Jésus habite en bas. C'est une tiare

Le haut, le phare que les archanges

Tiennent depuis des siècles et des siècles à deux mains

On tolère la canne et le pied des humains

Or le vallon serait un clocher à l'envers

Sans les gros marronniers et vingt-cinq ponts de fer.

 

                                                    (Le Laboratoire central, 1921)

                Villonelle

Dis-moi quelle fut la chanson
Que chantaient les belles sirènes
Pour faire pencher des trirèmes
Les Grecs qui lâchaient l'aviron
 

Achille qui prit Troie, dit-on,
Dans un cheval bourré de son
Achille fut grand capitaine
Or, il fut pris par des chansons
Que chantaient des vierges hellènes
Dis-moi, Vénus, je t'en supplie
Ce qu'était cette mélodie.
 

Un prisonnier dans sa prison
En fit une en Tripolitaine

Et si belle que sans rançon
On le rendit à sa marraine
Qui pleurait contre la cloison.
 

Nausicaa à la fontaine
Pénélope en tissant la laine
Zeuxis peignant sur les maisons
Ont chanté la faridondaine !...
Et les chansons des échansons ?
 

Échos d'échos des longues plaines
Et les chansons des émigrants !
Où sont les refrains d'autres temps
Que l'on a chantés tant et tant?
Où sont les filles aux belles dents
Qui l'amour par les chants retiennent ?
Et mes chansons ? qu'il m'en souvienne!

                            (Le Laboratoire central, 1921)

 

Il se peut qu'un rêve étrange

Vous ait occupée ce soir,

Vous avez cru voir un ange

Et c'était votre miroir.

 

Dans sa fuit Eléonore

A défait ses longs cheveux

Pour dérober à l'aurore

Le doux objet de mes voeux.

 

A quelque mari fidèle

Il ne faudra plus penser.

Je suis amant, j'ai des ailes

Je vous apprend à voler.

 

Que la muse du mensonge

Apporte au bout de vos doigts

Ce dédain qui n'est qu'un songe

Du berger plus fier qu'un roi.

 

                            (Le Laboratoire central, 1921)

 

 

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