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Jacques Prévert 1900 - 1977

Barbara Pour faire le portrait d'un oiseau Le Cancre Sables mouvants Pater noster

         Barbara

 


Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu a tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu a tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas

                               >>>>  (Suite en haut à droite)

             (Suite)


Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

                            (Paroles, 1946)

        Pour faire le portrait d'un oiseau
 


Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

 

                            (Paroles, 1946)

        Le Cancre
 


Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu'il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec les craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur

 

                            (Paroles, 1946)

        Sables mouvants
 


Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

                            (Paroles, 1946)

            Pater noster
 


Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son Océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terres
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-mêmes d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leur tortionnaires
Avec les maître de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des canons.

 

                            (Paroles, 1946)

 

 

Raymond Queneau 1903-1973

Ce soir... Rue Paul Verlaine Marée de solstice

 

Ce soir,
Si j'écrivais un poème
pour la postérité?
fichtre
la belle idée

je me sens sûr de moi
j'y vas
et à la postérité
j'y dis merde et remerde
et reremerde
drôlement feintée
la postérité
qui attendait son poème

ah mais

                                (L'Art Poétique, )

                Rue Paul Verlaine

Je fais parfois le rêve étrange et pénétrant
d'une rue en étain blanchâtre et maternelle
l'un et l'autre trottoir palpite comme une aile
tandis que sa chaussée a tout son poids d'étant

Les ruisseaux de plomb pur s'écoulent dans l'étang
qu'engloutit une bouche à béance immortelle
à chaque extrémité s'inscrit une marelle
que ne traverse point le vulgaire impétrant

Sous un ciel de titane un seul toit promeneur
lentement se déplace au-dessus des bâtisses
où grouille un animal qui ressemble à ma soeur

Calme en son sicamor incertaine et factice
cette voie a le charme amarante et boudeur
de pouvoir se plier sans perdre son odeur

                                (Courir les rues, 1967)

                Marée de solstice

 

 

Le dieu prend dans ses mains le faix d'algues trémières

il en cerne le mur des falaises en feu

il apporte du large une botte fermière

de blé de seigle et d'orge amassés en haut lieu

 

Serpents du noir calvaire les végétaux absorbent

la substance entamée où se résout le sol

Enflammés sur la plage épis et paille assument

le rôle des danseurs pour signifier la mort

 

rien n'est plus le long d'eau rien n'est plus le long d'air

Plus ne sonne le roc où se brisait la mer

Violettes en bouquet narcisses en guirlandes

 

ont remplacé le phare où se situait l'amer

Tout se compose alors selon l'ordre d'hiver

et la fleur disparaît faisant face à la lande

 

                                (Fendre les flots, 1969)

 

 

Raymond Radiguet 1903-1923

L'école du soir Statue ou épouvantail Amélie Quand je suis au bord de la mer

 

            L'école du soir

 


Aurore, à nul des coeurs qui saignent,
Ne vas recommander l'école
Où buissonnière on nous enseigne
La douleur plutôt que les jeux.

Un jour, en mousse se déguise
L'espiègle Vénus, et son col
Marin fait le ciel orageux ;
Demain en maîtresse d'école,

Mais marine, non buissonnière.
Ses leçons sont plus à ma guise,
Ignorante, elle qui serait
De ses élèves la dernière !

Vénus charmant les tableaux noirs
Figure tracée à la craie,
Enfin Vénus s'effacerait,
Ligne à ligne, de nos mémoires.

 

                        (Les joues en feu, 1920)

        Statue ou épouvantail

 


Les seins du marbre, mes fruits lourds
Arrondis par le lourd soleil,
S'ils rougissent, tout est perdu,
Je les nomme pommes d'amour.

C'est, entier, un verger marin,
À elle seule que Vénus ;
Verger par lui-même trahi !
Car Vénus, pendant son sommeil,

Nous livre ses secrets, ses fruits.
(Installé le moineau, corail
Sur ta branche, il la fait plier),
Heureux qui ne doute de rien !

Sans crainte, vagues, picotez
L'arbre du corail effronté
Dans son rôle d'épouvantail
Vénus manque d'autorité.

 

                        (Les joues en feu, 1920)

                            Amélie

 


Vagues charmeuses ô peut-être votre essaim
Mouille le ramage des vieux oiseaux moqueurs
Es se moquent de nous qui perdîmes un coeur
Coeur d'or que l'océan veut garder en son sein

Faire entendre raison à des âmes pareilles
En vain vous gazouillez bijoux à ses oreilles
Cher René nous savons que c'est pure folie
Ce voyage au long cours à cause d'Amélie

Moissonneur de nos mains fanées par les hivers
Les mousses se noyaient dans vos regards déserts
Auprès des matelots ce silence vous nuit
Vous devez avoir tort on ne meurt pas d'ennui

Orages sur le pont si le champagne mousse
Versons une liqueur de fantaisie au mousse
Pour nous remercier de ces verres de menthe
Il nous épellera le nom de son amante

 

                        (Devoirs de vacances, 1921)

        Quand je suis au bord de la mer

 


Quand je suis au bord de la mer
Afin de rester toujours jeune
Comme Aphrodite je déjeune
De soleil et de lune dîne

Je me sens devenir ondine
Qui joyeuse où l'onde est amère
Ne souhaite pour son sommeil
Pas d'autre oreiller que les vagues

Si sur le sable le soleil
Luit, comme perdue une barque
Plus n'ai besoin de vos attraits
Votre éponge ni votre craie,

Vénus, pour dormir éveillée
Aux âmes de larmes mouillées

 

                         (Poèmes inédits, 1925)

 

 

Pierre Reverdy 1889-1960

Passage clandestin Sentier Le temps et moi Outre mesure Tard dans la vie

 

            Passage clandestin

 

 

On entre par la porte à côté

La maison est triste et reste fermée

Quelqu'un passe sous la fenêtre et baisse les yeux

On a peur de faire du bruit

 

Des milliers de lumières s'allument dans la nuit

Sous les timbres pressés et la lumière dure

On emporte des hommes morts

Des femmes qui lèvent les bras et crient

Un enfant court derrière la voiture

 

Quelques heures avant le jour la fête dure encore

La fête nocturne avec un vrai décor

La ville descend

Moi je suis dans ma chambre et j'attends

Nous sommes gais

Quelqu'un vient de sonner à la porte à côté

 

On revient du combat comme d'un amusement

Prêt à l'oubli

Si la fatigue nous lâche un moment

Dans le fond de la salle on entend des sanglots

Sous la fenêtre où vient frapper la pluie

Les autres se sont endormis

 

Le jour se lève un peu

Tout le monde s'éveille

En partant j'ai oublié mon chapeau

Vous regardez mon front et je courbe le dos

La porte est restée grande ouverte

Sur le couloir sans fond et la place déserte

 

                                    (La lucarne ovale, 1916)

                    Sentier

 

 

Le vent trop fort ferme ma porte

Emporte mon chapeau comme une feuille morte

Tout a disparu dans la poussière

        Qui sait ce qu'il y a par derrière

 

Un homme court sur l'horizon

Son ombre tombe dans le vide

Les nuages plus lourds roulent sur la maison

        Le front du ciel inquiet se ride

Il y a des signes clairs au fer de l'occident

Une étoile qui tremble entre les fils d'argent

Les plis de la rivière qui arrêtera tout

Le monde fatigué s'affaisse dans un trou

        Et du massacre ce qui reste

Se dresse dans la nuit qui change tous les gestes

 

                                    (Les ardoises du toit, 1918)

                Le temps et moi
 


Dans le sous-sol le plus secret de ma détresse
Où le vice a reçu la trempe de la mort
je redonne le ton au disque
Le refrain à la vie
Un terme à mon remords

Dans le cercle sans horizon où se lamente la nature
Si la chaleur qui passe du sang à ton esprit
Tu pouvais suivre la mesure
En te hâtant sans bruit au tournant de la peur
To ut ce qu'on m'a repris des roues de la poitrine
Cette montre qui sonne l'heure sans arrêt
Et l'amère lueur qui coulait goutte à goutte
Entre la main et l'oeil
Le chemin de la peau
La débâcle au bruit sec de la glace légère qui se brise au réveil

je vais plus loin la main tendue au mouvement inconscient de la pendule
Une curiosité perçante au fond du coeur
Et pour toi dans la tempe le bruit sourd qui ondule
Des lièvres du péché à l'haleine des fleurs

Va-et-vient lumineux
Ressac de la fatigue
Goutte à goutte le temps creuse ta pierre nue
Poitrine ravinée par l'acier des minutes
Et la main dans le dos qui pousse à l'inconnu

                                        (Ferraille, 1937)

            Outre mesure
 


Le monde est ma prison
Si je suis loin de ce que j'aime
Vous n'êtes pas trop loin barreaux de l'horizon
L'amour la liberté dans le ciel trop vide
Sur la terre gercée de douleurs
Un visage éclaire et réchauffe les choses dures
Qui faisaient partie de la mort
A partir de cette figure
De ces gestes de cette voix
Ce n'est que moi-même qui parle
Mon coeur qui résonne et qui bat
Un écran de feu abat-jour tendre
Entre les murs familiers de la nuit
Cercle enchanté des fausses solitudes
Faisceaux de reflets lumineux
Regrets
Tous ces débris du temps crépitent au foyer
Encore un plan qui se déchire
Un acte qui manque à l'appel
Il reste peu de chose à prendre
Dans un homme qui va mourir

 

                                    (Le chant des morts, 1948)

            Tard dans la vie
 


Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place ou la foudre a frappé trop souvent
Un coeur ou chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement


                                        (La liberté des mers, 1959)

 

 

Jean Richepin 1849-1926

Les oiseaux de passage Beauté moderne La mer, le soir Ballade à boire

            Les oiseaux de passage

 


C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.

Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,
La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.

Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,
Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.

Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?

Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ça lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. "

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume
De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,
pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume
Et mourir au matin sur le coeur du soleil.

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux
Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,
Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !

Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tête.
Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,
Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,
Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.

Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.
Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.
Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?

Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent feraient éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,
Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l'haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L'averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.
Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.
Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.

Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où votre espoir banal n'abordera jamais.

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.
Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

 

                                (La Chanson des gueux, 1876)

                Beauté moderne


Certes, tu m'éblouis quand tu es toute nue,
Ainsi l'âpre soleil de juin, brûlant la nue,
Fait baisser le regard par sa flamme irrité.
Tu ressembles alors à quelque déité
Splendide, arrondissant le contour de ses lignes
Dans un marbres plus blanc que la plume des cygnes.
Mais je t'admire autant, je te veux plus encor
En moderne beauté, quand un savant accord
De rubans, de chiffons, de robes revêtue,
Dans la toilette étreint ta vivante statue.
J'aime l'étroit corsage où tes seins à l'étroit
Semblent deux étalons qui se cabrent tout droit.
J'aime ton bras sortant à demi de la manche
Où la dentelle écume autour de la chair blanche ?
J'aime ton buste fier cuirassé de satin.
J'aime ton pied cambré frétillant et mutin
Sous les boutons de la bottine mordorée.
J'aime ta jupe énorme à la traîne éplorée
Qui fait comme un fouillis épars de noirs cheveux
De ta croupe onduleuse à ton mollet nerveux.
J'aime à sentir ployer tes reins, fondre ta taille,
Dans le frou-frou soyeux et craquant de la faille.
J'aime tes bracelets, tes bagues, tes bijoux,
Tout ce que ton caprice d'enfant a pour joujoux.
Et rien ne me rend fou, frénétique, idolâtre,
Comme l'état de tes toilettes de théâtre,
Quand, faisant palpiter au bout fin de ton gant
Comme un grand papillon l'éventail élégant,
Avec des airs de reine et des rires de fée,
La poitrine en avant, la tête ébouriffée,
Tu te plais à montrer aux lustres envieux
Tes diamants aigus qui poignardent les yeux.

 

                                            (Les caresses, 1877)

     La mer, le soir

 

 

Dans le silence

Le bateau dort,

Et bord sur bord

Il se balance

 

Seul à l'avant

Un petit mousse

D'une voix douce            

Siffle le vent

 

Au couchant pâle

Et violet

Flotte un reflet

Dernier d'opale.

 

Sur le flots verts,

Par la soirée

Rose et moirée

Déjà couverts

 

Sa lueur joue

Comme un baiser

Vient se poser

Sur une joue

 

Puis brusquement,

Il fuit, s'efface

Et sur la face

Du firmament

                                       >>>>  (Suite en haut à droite) 

           (Suite)

 

 

Dans l'ombre claire,        

On ne voit plus

Que le reflux

Crépusculaire

 

Les flots déteints

Ont sous la brise

La couleur grise

Des vieux étains.

 

Alors la veuve

Aux noirs cheveux

Se dit : - je veux

Faire l'épreuve

 

De mes écrins

Dans cette glace.          

Et la nuit place

Parmi ses crins,

 

Sous ses longs voiles

Aux plis dormants

Les diamants

De ses étoiles.

 

                    La Mer (1886)

 

 

            Ballade à boire


Ces gourmandises de bouteilles
Débaucheraient le plus têtu
Oh ! les belles gouges vermeilles
Qui vous font de l'oeil impromptu !
Tant pis pour qui ne l'a point eu,
Le bonheur profond et céleste
Qu'offre leur ventre court vêtu !
Bois d'autant. Siffle sur le reste.

Je bois. Si tu m'en déconseilles,
Je te dirai turlututu,
Et, me bouchant les deux oreilles,
J'attendrai que tu te sois tu.
Prends plutôt ce verre pattu
Et le vide d'une main preste.
Afin de noyer ta vertu,
Bois d'autant. Siffle sur le reste.

Bois. Les bouteilles sont pareilles
A des tétons au bout pointu.
En les suçant tu t'ensoleilles,
Ton nez fût-il sale et tordu,
Rongé de pleurs, triste, battu
Par les flots d'un destin funeste,
Il devient clair et beau si tu
Bois d'autant. Siffle sur le reste.

 

                                    (Mes paradis, 1894)

 

 

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