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Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
(Poésies, 1869 à 1872)

Le bateau ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !
J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !
J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !
J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...
Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !
J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?
Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
(Poésies, 1869 à 1872)

Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
(Poésies, 1869 à 1872)

Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges ;
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
(Poésies, 1869 à 1872)

Chanson de la plus haute tour
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu'on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t'arrête,
Auguste retraite.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la prairie
A l'oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D'encens et d'ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n'a que l'image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l'on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J'ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s'éprennent !
(Derniers vers, 1872)

Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Ô saisons, ô châteaux,
J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps.
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !
Ô saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.
Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !
- Ô Saisons, ô Châteaux !
(Derniers vers, 1872)

L'Eternité
Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale
Sans qu'on dise : enfin.
Là pas d'espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
(Derniers vers, 1872)

Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les
coeurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. -Et je
l'ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a
été confié!
Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur
toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils.
J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur
a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du
crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.
Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac!
j'ai songé à rechercher le clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être
appétit.
La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé!
"Tu resteras hyène, etc....," se récrie le démon qui me couronna de si aimables
pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés
capitaux."
Ah! j'en ai trop pris: - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle
moins irritée! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui
aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je
vous détache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.
(Une saison en enfer, 1873)

Matin
N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur
des feuilles d'or, - trop de chance! Par quel crime, quelle erreur, ai-je mérité
ma faiblesse actuelle? Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de
chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de
raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le
mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler!
Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était
bien l'enfer; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes.
Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile
d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le
coeur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts,
saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans
et des démons, la fin de la superstition, adorer - les premiers! - Noël sur la
terre!
Le chant des cieux, la marche des peuples! Esclaves, ne maudissons pas la vie.
(Une saison en enfer, 1873)

Marine
Les chars d'argent et de cuivre -
Les proues d'acier et d'argent -
Battent l'écume, -
Soulèvent les souches des ronces.
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt, -
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.
(Illuminations, 1886)

Mouvement
Le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve,
Le gouffre à l'étambot,
La célérité de la rampe,
L'énorme passade du courant,
Mènent par les lumières inouïes
Et la nouveauté chimique
Les voyageurs entourés des trombes du val
Et du strom.
Ce sont les conquérants du monde
Cherchant la fortune chimique personnelle ;
Le sport et le comfort voyagent avec eux ;
Ils emmènent l'éducation
Des races, des classes et des bêtes, sur ce Vaisseau.
Repos et vertige
A la lumière diluvienne,
Aux terribles soirs d'étude.
Car de la causerie parmi les appareils, - le sang ; les fleurs, le feu, les
bijoux -
Des comptes agités à ce bord fuyard,
- On voit, roulant comme une digue au delà de la route hydraulique motrice,
Monstrueux, s'éclairant sans fin, - leur stock d'études ;
Eux chassés dans l'extase harmonique,
Et l'héroïsme de la découverte.
Aux accidents atmosphériques les plus surprenants,
Un couple de jeunesse s'isole sur l'arche,
- Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne ?
Et chante et se poste.
(Illuminations, 1886)

Dimanches
Morne l'après-midi des dimanches, l'hiver,
Dans l'assoupissement des villes de province,
Où quelque girouette inconsolable grince
Seule, au sommet des toits, comme un oiseau de fer !
Il flotte dans le vent on ne sait quelle angoisse !
De très rares passants s'en vont sur les trottoirs :
Prêtres, femmes du peuple en grands capuchons noirs,
Béguines revenant des saluts de paroisse.
Des visages de femme ennuyés sont collés
Aux carreaux, contemplant le vide et le silence,
Et quelques maigres fleurs, dans une somnolence,
Achèvent de mourir sur les châssis voilés.
Et par l'écartement des rideaux des fenêtres,
Dans les salons des grands hôtels patriciens
On peut voir, sur des fonds de gobelins anciens,
Dans de vieux cadres d'or, les portraits des ancêtres,
En fraise de dentelle, en pourpoint de velours,
Avec leur blason peint dans un coin de la toile,
Qui regardent au loin s'allumer une étoile
Et la ville dormir dans des silences lourds.
Et tous ces vieux hôtels sont vides et sont ternes ;
Le moyen âge mort se réfugie en eux ;
C'est ainsi que, le soir, le soleil lumineux
Se réfugie aussi dans les tristes lanternes.
Ô lanternes, gardant le souvenir du feu,
Le souvenir de la lumière disparue,
Si tristes dans le vide et le deuil de la rue
Qu'elles semblent brûler pour le convoi d'un Dieu !
Et voici que soudain les cloches agitées
Ébranlent le Beffroi debout dans son orgueil,
Et leurs sons, lourds d'airain, sur la ville au cercueil
Descendent lentement comme des pelletées !
(La jeunesse blanche, 1886)

Ses yeux
Ses yeux où se blottit comme un rêve frileux,
Ses grands yeux ont séduit mon âme émerveillée,
D'un bleu d'ancien pastel, d'un bleu de fleur mouillée,
Ils semblent regarder de loin, ses grands yeux bleus.
Ils sont grands comme un ciel tourmenté que parsème
- Par les couchants d'automne et les tragiques soirs -
Tout un vol douloureux de longs nuages noirs ;
Grands comme un ciel, toujours mouvant, toujours le même !
Et cependant des yeux, j'en connais de plus beaux
Qui voudraient sur mes pas promener leurs flambeaux,
Mais leur éclat répugne à ma mélancolie.
Les uns ont la chaleur d'un ciel oriental
D'autres le mol azur des lointains d'Italie
Mais les siens me sont chers ainsi qu'un ciel natal.
(La jeunesse blanche, 1886)

Douceur du soir ! Douceur de la chambre sans lampe !
Le crépuscule est doux comme une bonne mort
Et l'ombre lentement qui s'insinue et rampe
Se déroule en fumée au plafond. Tout s'endort.
Comme une bonne mort sourit le crépuscule
Et dans le miroir terne, en un geste d'adieu,
Il semble doucement que soi-même on recule,
Qu'on s'en aille plus pâle et qu'on y meure un peu.
Des tableaux appendus aux murs, dans la mémoire
Où sont les souvenirs en leurs cadres déteints,
Paysage de l'âme et paysages peints,
On croit sentir tomber comme une neige noire.
Douceur du soir ! Douceur qui fait qu'on s'habitue
A la sourdine, aux sons de viole assoupis ;
L'amant entend songer l'amante qui s'est tue
Et leurs yeux sont ensemble aux dessins du tapis.
Et langoureusement la clarté se retire ;
Douceur ! Ne plus se voir distincts ! N'être plus qu'un !
Silence ! deux senteurs en un même parfum ;
Penser la même chose et ne pas se le dire.
(Le règne du silence, 1891)

Les glaces sont
les mélancoliques gardiennes
Des visages et des choses qui s'y sont vus ;
Mirage obéissant sans jamais un refus !
Mais le soir leur revient en crises quotidiennes ;
C'est une maladie en elles que le soir ;
Comment se prolonger un peu, comment surseoir
Au mal de perdre en soi les couleurs et les lignes ?
C'est le mal d'un canal où s'effacent des cygnes
Que l'ombre identifie avec celle de l'eau.
Mal grandissant de l'ombre élargie en halo
Qui lentement dénude, annihile les glaces.
Elles luttent pourtant ; elles voudraient surseoir
Et leur fluide éclat nie un moment le soir...
(Les vies encloses, 1896)

Toute une vie
en nous, non visible, circule
Et s'enchevêtre en longs remous intermittents ;
Notre âme en est variable comme le temps ;
Tantôt il y fait jour et tantôt crépuscule,
Selon de brefs et de furtifs dérangements
Tels que ceux du feuillage et des étangs dormants.
Pourquoi ces accès d'ombre et ces accès d'aurore
Dans ces zones de soi que soi-même on ignore ?
Qu'est-ce qui s'accomplit, qu'est-ce qui se détruit ?
Mais, qu'il fasse aube ou soir dans notre âme immobile,
La même vie occulte en elle se poursuit,
Comme la mer menant son oeuvre sous une île !
(Les vies encloses, 1896)
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