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Le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienne La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante L’amour s’en va Comme la vie est lente Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure
(Alcools, 1913) Crépuscule
A Mademoiselle Marie Laurencin
Frôlée par les ombres des morts Sur l’herbe où le jour s’exténue L’arlequine s’est mise nue Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire Vante les tours que l’on va faire Le ciel sans teinte est constellé D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême Salue d’abord les spectateurs Des sorciers venus de Bohême Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile Il la manie à bras tendu Tandis que des pieds un pendu Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant La biche passe avec ses faons Le nain regarde d’un air triste Grandir l’arlequin trismégiste
(Alcools, 1913) Nuit rhénane
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme Ecoutez la chanson lente d’un batelier Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde Que je n’entende plus le chant du batelier Et mettez près de moi toutes les filles blondes Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter La voix chante toujours à en râle-mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été
Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire
(Alcools, 1913)
Les yeux d’Elsa
Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire J’ai vu tous les soleils y venir se mirer S’y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire
A l’ombre des oiseaux c’est l’océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L’été taille la nue au tablier des anges Le ciel n’est jamais bleu comme il l’est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l’azur Tes yeux plus clair que lui lorsqu’une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d’après la pluie Le verre n’est jamais si bleu qu’à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se produit le miracle des Rois Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas Trop peu d’un firmament pour des millions d’astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L’enfant accaparé par les belles images Ecarquille les siens moins démesurément Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où Des insectes défont leurs amours violentes Je suis pris au filet des étoiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d’août
J’ai retiré ce radium de la pechblende Et j’ai brûlé mes doigts à ce feu défendu O paradis cent fois retrouvé reperdu Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu’un beau soir l’univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa
(Les Yeux d'Elsa, 1942) Une solitude infinie
A robert Desnos
La divine élégie s’est assise en pleurant Elle compte les graviers du gravier Les plumes les brindilles les fétus De paille Ses voiles sont pendus à son beau corps d’albâtre Comme la lyre d’or au fronton d’un théâtre Elle murmure un mot que l’écho lui redit C’est l’heure où tout sommeille C’est le moment suprême C’est le moment où jamais C’est l’heure du berger Il y a plein d’étoiles dans le firmament Il y en a de toutes les grandeurs Des vertes et des pas mûres Cassiopée aussi est une jolie fille Elle compte les fétus les plumes les brindilles Elle s’assied en pleurant Le long du courant D’un petit ruisseau J’y vois un bateau Des bonbons des fleurs De toutes les couleurs
(Le Mouvement perpétuel, 1926) Il n’y a pas d’amour heureux
Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n’y a pas d’amour heureux
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu’on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qu’on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots Ma vie Et retenez vos larmes Il n’y a pas d’amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j’ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n’y a pas d’amour heureux
Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l’unisson Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare Il n’y a pas d’amour heureux
Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri Et pas plus que de toi l’amour de la patrie Il n’y pas d’amour qui ne vive de pleurs Il n’y a pas d’amour heureux Mais c’est notre amour à tous deux
(La Diane Française, 1946)
La Muse
La muse est un oiseau, disait un maître ancien. (Auguste Vacquerie.)
Près du ruisseau, sous la feuillée, Menons la Muse émerveillée Chanter avec le doux roseau, Puisque la Muse est un oiseau.
Puisque la Muse est un oiseau, Gardons que quelque damoiseau N'apprenne ses chansons nouvelles Pour aller les redire aux belles.
Un méchant aux plus fortes ailes Tend mille pièges infidèles. Gardons-la bien de son réseau, Puisque la Muse est un oiseau.
Puisque la Muse est un oiseau, Empêchons qu'un fatal ciseau Ne la poursuive et ne s'engage Dans les plumes de son corsage.
Mère, veillez bien sur la cage Où la Muse rêve au bocage. Veillez en tournant le fuseau, Puisque la Muse est un oiseau.
(Les stalactites, 1846) Les Princesses
Les Princesses, miroir des cieux riants, trésor Des âges, sont pour nous au monde revenues; Et quand l'Artiste en pleurs, qui les a seul connues, Leur ordonne de naître et de revivre encor,
On revoit dans un riche et fabuleux décor Des meurtres, des amours, des lèvres ingénues, Des vêtements ouverts montrant des jambes nues, Du sang et de la pourpre et des agrafes d'or.
Et les Princesses, dont les siècles sont avares, Triomphent de nouveau sous des étoffes rares: On voit les clairs rubis sur leurs bras s'allumer,
Les chevelures sur leurs fronts étincelantes Resplendir, et leurs seins de neige s'animer, Et leurs lèvres s'ouvrir comme des fleurs sanglantes.
(Les Princesses, 1874) La Satyresse
Frontispice, à Léopold Flameng.
Ce n'est pas dans une maison Qu'elle endort tes joyeuses fièvres, Printemps charmeur, quand tu nous sèvres Du lait amer de la Raison;
Mais par les prés en floraison Elle a sa double flûte aux lèvres! Indocile comme les chèvres, Elle s'assied dans le gazon,
Et jeune, folâtre, ingénue, Offrant sa belle gorge nue Au zéphyr de ces lieux déserts,
La Satyresse aux yeux fantasques Fait danser, en jouant des airs, Une troupe de petits masques.
(Occidentales, 1869)
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